Elle a connu la pire des managers et ce qu’elle a vécu va vous choquer !
Si, comme moi, vous avez grandi avec « Le Club Dorothée », vous avez surement déjà regardé un épisode de l’animé japonais « Princesse Sarah ». Cette histoire – horrible, soit dit en passant – issue d’un roman et adaptée maintes fois au cinéma, notamment en 1939 avec Shirley Temple, nous apprend, à mon sens, tout l’intérêt de bien traiter les gens dans la vie, en particulier ses employés. Laissez-moi vous expliquer pourquoi. (Lecture: 6min19)
L’histoire
Si vous ne connaissez pas l’histoire de princesse Sarah, ou si vous n’en gardez qu’un vague souvenir, en voici un petit résumé. Sarah est une petite fille de 7 ans, élevée par son père en Inde. Sa mère est morte en la mettant au monde, ce qui est ultra triste, mais son padre est multi-millionaire donc ça compense. Ralph – son père – a à coeur de donner la meilleure éducation possible à sa fille, mais il a bof le temps de s’en charger, tout occupé qu’il est à déterrer des diamants et à dépenser sa fortune. Il décide donc d’envoyer sa fille en pension à Londres, où elle est sous la charge de la directrice, Miss Minchin.
Madame Minchin, c’était une de mes profs de maths au collège, et elle était hyper sympa. Contrairement à celle de Sarah qui est une personne horrible, frustrée, et vénale, qui n’a clairement jamais regardé de vidéos de dev perso l’incitant à faire preuve de bienveillance. Au début, elle est super impressionnée par la richesse du père de Sarah et file des traitements de faveur à la petite qui n’a rien demandé, dans l’espoir de toucher un gros pourboire à la fin de l’année. Loin de se comporter comme une fille de riche, Sarah fait preuve d’une gentillesse sans faille, filant même de la bouffe en cachette à la petite bonne de l’école – car le travail des enfants n’était pas un sujet à l’époque.
Malheureusement, le jour de ses 11 ans, Sarah voit débarquer un avocat au pensionnat. Il lui annonce que son père est mort et que son ancien associé s’est barré avec tout son argent. Sarah se retrouve donc, tout à coup, orpheline et pauvre. Miss Minchin décide alors d’en faire une bonne qu’elle maltraite à tout va et Sarah perd une grosse partie de ses « amies ». Folle ambiance.
Harcèlement et vieille dentelle
Quel rapport avec le management, vous demandez-vous ? Et bien l’essentiel de la série est centré sur la période pendant laquelle Sarah devient une employée du pensionnat et cela a plusieurs conséquences. Par exemple, très peu de ses anciennes collègues parmi les élèves de l’école cherchent à la comprendre ou à la soutenir. Pour elles, Sarah a été rétrogradée, c’est surement parce qu’elle l’a mérité et elles ne vont pas s’abaisser à parler à la personne qui gère les basses besognes. Peu importe que la personnalité de Sarah n’ait pas changé, sa nouvelle position dans l’institution lui vaut d’être ignorée, insultée, maltraitée et rejetée. Une situation que subissent de nombreuses personnes au travail et qui est amplifiée lorsque le ou les managers optent pour l’ignorance de ce qui se passe (sous couvert de « ce n’est pas mon rôle de m’en mêler » ou « je me dois de rester neutre ») ou valide ce type de comportement toxique en y participant, à l’instar de cette brave Miss Minchin. Si effectivement, le ou la manager a tout intérêt à rester neutre – c’est à dire à ne pas prendre parti – afin de comprendre au mieux les points de vue de chacun.e, en choisissant de ne pas intervenir il ou elle cautionne indirectement le harcèlement moral. Miss Minchin aurait pu, par exemple, éviter de prendre parti tout en rappelant à ses équipes d’élèves que, si tout le monde est libre d’avoir son opinion, il n’y a pas lieu de harceler Sarah et que ce type de comportement ne sera pas toléré.
Manager par la peur
Un épisode de ce dessin animé m’a particulièrement marquée, pour ne pas dire traumatisée. Miss Minchin demande à Sarah d’aller au marché acheter un poids précis de pommes de terre pour le repas du soir. Pour cela, elle remet à la petite une somme précise. Sarah, très au fait du prix au kilo de la patate et particulièrement à l’aise en calcul mental, lui rétorque derechef: « les comptes sont pas bons Kevin ». Ce à quoi la directrice réplique d’un ton menaçant: « j’en ai rien à foutre Sarah, démerde-toi pour avoir le bon nombre de pommes de terre pour ce montant, sinon tu seras battue » (beaucoup de vulgarité dans les dessins animés des années 90). Ce comportement vous choque ? Pourtant, le management par la peur est très largement répandu dans nos entreprises. On confie une mission à quelqu’un qui tente d’expliquer les obstacles qu’il ou elle rencontre. Au lieu d’écouter et de chercher des solutions ensemble pour s’assurer que le projet sera réalisé dans de bonnes conditions, avec le meilleur résultat possible, on lui explique qu’il ou elle doit se débrouiller, que c’est son travail, sa responsabilité. Si le résultat n’est pas à la hauteur des attentes, le ou la gestionnaire de projet sera, au choix, réprimandé.e – possiblement devant tout le monde – quand on ne le ou la menacera pas carrément d’être rétrogradé.e, viré.e, ou privé.e de prime de fin d’année.
Salarié.e.s subissant un mauvais management, allégorie
Pommes de terre et mauvais management
Revenons à Sarah. Elle se pointe au marché, tente une négo digne du souk de Marrakech, puis explique son dilemme au maraîcher. L’homme, compatissant, lui indique néanmoins qu’il doit nourrir sa famille et ne peut pas vendre ses produits à perte. Il lui propose tout de même une solution : lui vendre le bon poids de pommes de terre pour son budget, mais on sera sur des tubercules qui ont commencé à germer. Sarah accepte, en se disant qu’une fois les pommes de terre pelées, on y verra que du feu. C’était sans compter le fait que Miss Minchin, qui avait volontairement filé à Sarah une mission plus impossible que celle de Tom Cruise pour avoir une bonne raison de la frapper, attendait son retour de pied ferme, dans la cuisine. Voyant que l’enfant a plus ou moins réussi malgré tout, la directrice entre dans une colère noire. Non seulement elle la bat, mais elle la force ensuite à manger toutes les pommes de terre germées, crues. Sarah s’exécute et sera ensuite malade pendant plusieurs jours.
Cruel, non ? Et pourtant, les managers qui filent des tâches aux personnes de leurs équipes en leur imposant des conditions (délais ultra courts, outils pas adaptés, méthodologie nouvelle et sans formation…) les mettant ainsi dans l’échec avant même de commencer sont légion. Ne pas accompagner les membres de son équipe dans leur travail, leur refiler des missions sans leur donner les moyens de les réaliser, c’est la définition d’un mauvais management. C’est l’assurance de créer un mauvais climat de travail et de démotiver les gens. Or, c’est la norme dans de multiples entreprises.
Les conséquences
Gros plot twist à la fin du dessin animé : l’ancien associé du père de Sarah débarque et l’informe que non, il n’a pas volé la fortune de Ralph, il l’a conservée et faite doubler (rien que ça) dans le but de la lui rendre. Badaboum, Sarah is super rich again. Coup de flip chez Miss Minchin, qui réalise soudain que la petite qu’elle maltraite depuis des plombes a désormais une forme de pouvoir sur elle. Les élèves qui ont harcelé Sarah, ainsi que la directrice, tentent de se faire pardonner à coup de « on est vraiment désolées, si on avait su que t’allait redevenir riche un jour, on aurait fait plus attention ». Sarah leur pardonne et fait un énorme don financier au pensionnat (j’imagine pour faire culpabiliser Miss Minchin, parce que sinon c’est un peu too much dans le pardon). Ensuite elle taille la route en débauchant au passage la petite Becky, l’autre bonne du pensionnat, à qui elle offre un poste de demoiselle de compagnie. Tout est bien qui finit bien.
Dans la réalité, un.e salarié.e qui subit un.e mauvais.e manager a peu de chance de se barrer en faisant un don financier à son entreprise. Il ou elle se barre, point. Par contre, il est effectivement possible qu’il ou elle débauche d’autres employés (au moment de son départ ou quelques mois plus tard). Voir un.e collègue qui s’en va suscite bien souvent des réflexions chez les autres membres de l’équipe en leur montrant qu’une autre voie est possible. Il n’est pas rare, d’ailleurs, qu’un départ dû à un mauvais management en entraine d’autres, augmentant ainsi le taux de turnover. En plus d’avoir un coût important, le turnover démotive les équipes, pourrit la réputation de l’entreprise, suscite de potentielles réflexions chez ses clients (« tout le monde s’en va dans cette boîte…. Je me demande pourquoi. Ce n’est pas bon signe ») et augmente le nombre de démissions. Hello hello, cercle vicieux. Appliquer un management bienveillant, c’est donc assurer un bon niveau de bien-être à ses salarié.e.s, augmenter le niveau de productivité et de qualité du travail fourni, prendre soin de la réputation de son entreprise, éviter le turnover et donc faire des économies. Si la directrice du pensionnat avait continué à bien traiter Sarah, nul doute que le don de la petite aurait été bien plus important et potentiellement régulier…. Mage-do.
Et vous, vous avez connu des managers dignes de Miss Minchin?
Merci Lauranne !!!
Superbe explications, très pédagogiques.
Je me reconnais dans Princesse Sarah, et je n ai pas laissé de don financier. Oh que non !!! J ai dû partir après avoir soutenu plusieurs collègues en burn out, ils ont quitté l entreprise avant moi. En état d epuisement pro, une inaptitude a été prononcée à mon égard. Heureusement ! Ma peau a été sauvée ainsi ! Une petite boîte agricole (petite en personnel, mais pas en benefices) dont le turn over doit être de 70%.
Si seulement les clients pouvaient voir ce qu il se fait “derrière les murs”. Les mots “transparence”, “agriculture durable”… ont bon dos dans la communication. D’ailleurs, existe-t-il un mot pour exprimer le bien-être au travail qui est mis en avant et non respecté ? “Work Well being washing” ? Comme le “green washing”
Encore Merci !
Luthien (nom de code lol) she/her
Merci d’avoir pris le temps d’écrire ce témoignage! Malheureusement c’est une situation tellement commune en entreprise qu’on a finit par la considérée comme normale, banale…. Je ne crois pas qu’il existe de terme (pour l’instant) pour désigner les entreprises qui mentent sur la façon dont elles traitent leurs employés…. mais quelque chose me dit que ça va pas tarder à arriver!