Les mensonges qu’on raconte aux enfants
Je ne sais pas vous, mais perso j’ai grandi avec l’idée qu’être adulte, c’était un truc génial. Apparemment, quand on atteignait ce stade, on comprenait enfin tout, on avait un sens inné des responsabilités, plus rien ne nous faisait peur, on ne pleurait plus… J’étais donc très impatiente, enfant, d’accéder un jour à ce graal ultime, à ce moment où paf, d’un coup d’un seul telle Cendrillon passant de guenilles à sa robe de bal, j’allais à mon tour devenir cette adulte accomplie au savoir et à la sagesse infinis. Spoiler : ce jour n’est jamais arrivé. (Lecture : 4min41).
« Faut pas avoir peur enfin ! »
Quand j’étais petite, j’avais très peur du noir. Et des adultes inconnus. Et de parler au téléphone. Et des minis loups qui, j’en étais persuadée, vivaient dans ma taie d’oreiller. Bon et probablement de tout un tas d’autres choses qui, bien souvent, étaient sujettes à de « tendres » moqueries. Vous savez, ces petites phrases d’apparence anodine prononcées avec un petit rire du type « mais enfin ! t’as peur de ça ?? » et autres « est-ce que j’ai peur moi ? ». Tant et si bien que j’ai fini par être persuadée que la peur était un truc d’enfant, une réaction un peu nulle qui, par chance, disparaîtrait soudainement à l’âge adulte. Parce que oui, les adultes, eux, ne semblaient avoir peur de rien. D’ailleurs, cette émotion m’est apparue rapidement comme vraiment négative et comme quelque chose dont je devais me débarrasser.
Sauf que la peur, tout le monde en ressent et c’est super important de lui faire sa place. C’est une émotion qui nous permet de nous protéger, de savoir quand nous sommes en danger. J’aurais préféré qu’on m’explique ça, et que des adultes m’informent du fait que oui, eux aussi parfois, ils avaient peur. Et que c’était ok.
« Pleurer c’est pour les bébés. Est-ce que tu es un bébé ? »
Dans la famille des émotions nulles dont on nous incite à nous débarrasser, je demande… la tristesse et la frustration. On explique très tôt aux enfants que pleurer, c’est ok pour les bébés et c’est tout. Est-ce que ça pleure, un adulte ?? Bien sur que non ! Oh, attendez….
En agissant de la sorte, le message qu’on transmet c’est que pleurer, c’est être faible. On a beau savoir intellectuellement que ce n’est pas vrai, ça reste ancré profondément. Je ne compte plus le nombre de mes client.e.s qui s’excusent quand ils se mettent à pleurer en session, qui me disent « pardon, d’habitude je suis plus fort.e que ça, là je ne sais pas ce qui se passe » ou encore qui m’informent en fin de rendez-vous avoir retenu leurs larmes parce que « j’allais quand même pas pleurer pour ça ».
Pleurer, c’est normal, c’est hyper sain, ça fait du bien, et ça permet de vivre pleinement son émotion – ce qui est une étape hyper importante de la gestion des émotions. Affronter sa tristesse ou sa frustration, loin d’être une forme de faiblesse, demande un courage de ouf. C’est quelque chose qu’on devrait, à mon sens, valoriser, encourager et accompagner.
« Tu comprendras quand tu seras grand.e »
Franchement ? C’est très loin d’être vrai 100% du temps. S’il m’est arrivé, bien entendu, d’effectivement mieux comprendre certaines choses en grandissant, ça n’a pas été le cas de beaucoup d’autres. J’ai passé de nombreuses années à tenter de comprendre des situations qui continuaient à me sembler manquer de sens, pensant que c’était moi qui étais stupide. Puis j’ai fini par accepter que ce n’était pas moi le problème.
Les enfants ont ceci de formidable qu’ils ne sont pas encore (totalement) pressurisés par les normes sociales. Ils font souvent des réflexions très pertinentes, n’hésitant pas à pointer du doigt des contradictions et autres dysfonctionnements que les adultes ont accepté depuis belle lurette sous couvert du fameux « parce que c’est comme ça » et sa cousine « on a toujours fait comme ça » (deux autres mensonges sur lesquels nous allons revenir plus bas). Trop souvent, au lieu d’écouter ces remarques, on les balaie d’un revers de main, ajoutant parfois une petite remarque moqueuse et condescendante (« oh c’est trop chou !! ») histoire de bien enfoncer le clou.
Est-ce qu’on ne pourrait pas, à la place, répondre vraiment à ces remarques et encourager ainsi les enfants à penser par eux-mêmes, à remettre en cause ce qui existe ? Est-ce que ce n’est pas la définition même de l’innovation, d’ailleurs, et ce qui nous permet d’avancer dans la vie ?
« Tu dis ça maintenant, mais tu changeras d’avis plus tard, tu verras »
Peut-on faire plus rabaissant que cette phrase, sérieusement ?* Encore une fois, pourquoi est-ce qu’un enfant (ou un ado) n’aurait pas le droit d’avoir sa propre opinion ? Bien sûr qu’il ou elle changera peut-être d’avis plus tard, mais peut-être pas.
Quand j’étais petite, par exemple, j’étais persuadée que je pouvais entrer en contact avec n’importe qui (star de cinéma, président de la république etc), simplement en leur écrivant. Si on m’a laissée faire, on m’a aussi expliqué que c’était « trop mignon » que je croie ça, parce que je finirais par m’apercevoir que « la vie, c’est pas comme ça ». A l’heure où les réseaux sociaux nous rendent tous et toutes bien plus facilement accessibles, je continue de penser fermement qu’on peut, effectivement, entrer en contact avec des tas de personnes qui nous paraissent inatteignables. Ça ne fonctionne pas toujours, c’est certain, mais une seule chose me semble sûre : si on ne tente pas, ça ne risque pas d’arriver.
Ce genre de petites phrases qu’on répète machinalement – et ce même en ayant parfaitement conscience, depuis des siècles, que les générations se suivent en ne se ressemblent pas – peuvent faire beaucoup de mal à l’estime de soi de l’enfant qui nous fait face. On le pousse ainsi à faire une confiance aveugle aux figures d’autorité, et à se conformer à une norme qui peut ne pas lui convenir.
*Oui en vrai, on peut.
« Arrête de faire des bêtises ! »
Se tromper, ça fait partie de la vie. Faire des trucs stupides et drôles aussi. J’ai longtemps pensé que les adultes se devaient d’être sérieux H24 (parce que c’est ça, être adulte), et pour le coup, cet aspect là ne me donnait pas, mais alors pas du tout, envie de grandir. Heureusement qu’on peut se lâcher à tout âge, faire des bêtises, expérimenter et se planter, faire des blagues nulles à notre entourage… La vie serait hyper chiante si ce n’était pas le cas, non ?
Mon opinion = la vérité absolue
Je voudrais regrouper dans ce dernier paragraphe toutes les phrases qui nous font croire qu’on est sur une vérité générale alors que les adultes qui les sortent essaient simplement d’imposer leur point de vue.
Je pense, par exemple, à ces deux phrases dont j’ai parlé plus haut : « Parce que c’est comme ça » / « Parce qu’on a toujours fait comme ça ». Comme on grandit en les entendant régulièrement, on s’habitude à l’idée qu’une situation qui nous parait incompréhensible ou absurde n’a pas besoin d’être expliquée et ne doit pas être modifiée. Le risque ici, c’est de grandir en étant terrifié.e par les figures d’autorité, et d’accepter plus tard des tas de situations qui ne nous conviennent pas. On nous apprend à laisser de côté nos besoins et nos ressentis, et ça peut nous conduire à faire une confiance aveugle à notre partenaire ou notre supérieur hiérarchique. On se retrouve alors dans des situations qu’on déteste et dont on n’ose pas sortir parce que… ben c’est comme ça alors à quoi bon ?
Je pense aussi à d’autres phrases comme « ça c’est bien », « ça ce n’est pas bien, il ne faut pas penser comme ça ». Là encore, on impose à l’enfant un jugement sur sa personnalité. On l’invite à se conformer à ce qu’on pense plutôt qu’à s’accepter, à l’accompagner dans sa réflexion, le tout sans apporter d’éléments de compréhension pour expliquer pourquoi « c’est bien » ou « c’est mal ». Beaucoup grandissent alors sans être capable d’estimer s’ils sont ou non quelqu’un de bien, et vont chercher les réponses dans le regard de personnes extérieures.
Dans la même lignée, quand un enfant reçoit une remarque désagréable d’un.e copain.ine à l’école, on lui dit généralement que « oh ! Non mais alors iel est méchant.e! C’est n’importe quoi !! ». Là encore on apprend ainsi aux enfants à laisser leur valeur être estimée par des intervenant.e.s extérieur.e.s. Si Micheline dit que mon dessin est moche, mais que maman dit qu’il est beau… Qui a raison ? Est-ce que ce n’est pas incroyablement paumant cette histoire ? Est-ce qu’on ne pourrait pas, à la place, expliquer à l’enfant que Micheline a le droit de ne pas aimer son dessin, que ça n’en fait pas la vérité, et lui demander ce que lui, en pense ?
Et vous, quels sont les mensonges qui vous ont marqué.e durant votre enfance ?