Distorsion cognitive 7: les fausses obligations
« J’aurais jamais du dire ça », « c’est comme cela que j’aurais du réagir », « Marguerite-Héloise ne devrait pas manger de burger vu son poids »…. Vous reconnaissez des phrases que vous avez déjà prononcées, pensées, pour vous ou pour les autres? C’est normal. Saluez chaleureusement (de loin) une distorsion que nous avons (presque) tou.tes: les fausses obligations. (Lecture: 4min19)
Vivre en respectant le cahier des charges
Selon le code bien établit de la société dans laquelle nous avons grandit, il existe des choses à dire, à ne pas dire, à faire et à ne pas faire. Pourquoi? Pour être une personne « bien », pardi! Ces règles évoluent au fil du temps: avant, elles nous étaient dictées par la religion, maintenant elles nous sont dictées par… et bien ce qui nous reste de la religion et les nouvelles religions (par exemple, les réseaux sociaux et le développement personnel). Dictées, donc, par la société – je vous l’avais bien que c’était une connasse.
Ce filtre, c’est le fait d’accepter toutes ces règles de vie et de tenter, autant que faire se peut, de s’y conformer. On accepte l’idée qu’il faut souffrir pour être belle, ne pas pleurer quand on est un homme un vrai, ne pas dire ce qu’on pense si ce n’est pas poli ou si ça risque peut-être éventuellement de mettre quelqu’un mal à l’aise.. Cela va de « je suis une femme, j’ai 35 ans, je ne peux plus mettre de jupe si courte car cela fait trop jeune pour moi » à « il faut impérativement que je range ma penderie aujourd’hui ». Cette distorsion est clairement la BFF du perfectionnisme et s’entend aussi mega bien avec la distorsion précédente.
Je me fixe un cahier des charges à respecter pour être la personne parfaite que je crois que je devrais être, et je m’insulte à chaque fois que j’y déroge. Trop cool! C’est une super façon de faire chuter son estime de soi au fin fond de ses petites socquettes en se rappelant continuellement que nous ne sommes pas à la hauteur de… De quoi, d’ailleurs? Et de qui?
Auto-sabotage: mode d’emploi
A grands coups de « il faut », « il ne faut pas », « je devrais » et « je ne devrais pas », nous nous auto-sabotons non-stop.
Ce système de pensées nous incite en effet à nous concentrer principalement sur nos « manquements ». Soit sur ce que nous faisons de nul, et qui fait donc de nous quelqu’un de nul, CQFD. Sans compter que rester enfermé.e dans ce schéma nous empêche de remettre en question des normes qui ne nous concernent probablement pas.
Comprendre que les autres puissent avoir un code de conduite qui diffère du notre peut s’avérer difficile. Cela peut avoir un impact non négligeable sur nos relations, puisque les fausses obligations nous emmènent tout droit sur l’autoroute du jugement. Moi je ne me permets pas ce type de comportement, donc Bidule ne devrait pas se le permettre non plus. Bidule est donc une personne nulle et à plaindre – alors qu’il.elle est possiblement en train de vivre sa meilleure vie. Elles nous laissent parfois en plan, avec de la jalousie et de l’envie pour seules compagnies… Moi je ne pourrais jamais dire ceci, comment se fait-il que Gwen-Grenouille se le permette? Quelle injustice…
Une vie au pas de course
Les fausses obligations reviennent donc à se créer toute une liste d’impératifs qui nous stressent de ouf. « Il faut ABSOLUMENT que je ne passe pas plus de 3 min à la pharmacie car je dois enchainer avec la vaisselle, puis le ménage, mon cours de yoga et il est impératif que je dine à 20h grand max pour ne pas louper le début de Koh Lanta ». Le moindre grain de sable viendra semer le chaos: le vieux monsieur qui met 5h à expliquer son problème à la pharmacienne, notre conjoint qui a rajouté une petite cuillère à la pile de vaisselle, nous qui avons oublié de racheter du dépoussiérant, la place impossible à trouver à proximité du cours de yoga…. Vous avez entre les mains la clé pour être stressé.e, irrité.e voire carrément péter un câble contre le petit vieux de la pharmacie.
Alors qu’au fond, il n’y a aucune urgence vitale, et aucune catastrophe à venir si vos fausses obligations ne sont pas remplies. Votre vaisselle sale ne s’associera pas à la poussière de votre logement pour vous assassiner sauvagement en pleine nuit et ainsi vous punir de les avoir négligés; si vous arrivez avec 5min de retard au cours de yoga, personne ne vous insultera, et vous pourriez très bien diner devant la tv si vous n’avez pas eu le temps de tout faire. Le fait que votre vieux voisin passe mille ans à expliquer qu’il souffre de fuites urinaires, et que “je ne sais pas si vous saviez mais le chien de Madame Bernier est mort, la pauvre, en plus ses enfants ne lui parlent plus, les jeunes, quelle ingratitude dans ce monde où il n’y a plus de saisons », n’a plus franchement d’importance.
Chacun met le curseur où il veut, mais voici ce que je me dis, personnellement, quand je me sens stressée ou que j’ai l’impression de perdre du temps : « est-ce que quelqu’un risque de mourir si je ne fais pas ceci ou si je suis en retard? ». Croyez-le ou non, jusqu’à maintenant la réponse a été « non » dans 100% des cas. Je trouve par ailleurs l’idée de me dire que je ne suis pas à 2 min près dans la vie excessivement apaisante.
Quand il faut bannir « il faut »
Se détacher de cette distorsion est bien plus simple qu’il n’y parait (calmez-vous, je n’ai pas dit que c’était facile non plus). Etape numéro 1: repérer les fausses obligations. En général, ce sont toutes ces petites phrases qui commencent par « il (ne) faut (pas) » et « je (ne) dois (pas) / devrais (pas) ». Elles se conjuguent également très bien au futur antérieur – toi aussi ressors ton Bescherelle du collège. Vous pouvez les noter dans votre tête ou par écrit.
Etape numéro 2: interrogez-vous et interrogez les autres. Pourquoi est-ce que je pense que je devrais faire ceci? Que je n’aurais pas du dire cela (paf, futur antérieur)? Qui a décidé cela? Comment cela me fait-il me sentir? Est-ce que cette émotion m’apporte quelque chose de positif ou est-ce que je préfèrerais me sentir autrement? Qu’est-ce que je veux vraiment, moi? Pourquoi est-ce que j’essaie de m’imposer ce truc? Est-ce que ce « ratage » est réellement grave et quelles en sont les conséquences? Est-ce que c’est bien pour l’image de la France qu’Aya Nakamura soit la chanteuse la plus écoutée au monde*?
De même, lorsqu’un autre être vivant vous fait une réflexion de ce type (« t’aurais vraiment pas du faire cette blague samedi soir, tout le monde t’as trouvé relou, c’est sur »), demandez lui pourquoi ça le/la gêne. Peut-on vraiment décider pour tout un groupe de ce qui est ok et ce qui ne l’est pas? Peut-on vraiment lire les gens au point de savoir ce qu’ils pensent? Des règles et des normes peuvent-elles réellement être valables pour 7 millards de personnes différentes?
*bien sur que oui c’est bien, arrêtez. Vous êtes remplis de charabias.