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Distorsion cognitive 6: les pensées « noir ou blanc » ou « tout ou rien »

Exigence envers soi, parfois également envers les autres, challenges répétés avec un niveau à atteindre toujours plus élevé, syndrome de l’imposteur et perfectionnisme de l’extrême… Bienvenue dans le monde de la plus sangsue des distorsions cognitives. (Lecture: 4min11 )

La vie sans nuance de gris

Il me semble que tout est dit dans le nom de cette distorsion: il s’agit d’analyser le monde et les événements en ne tenant compte que des possibilités extrêmes, en omettant toute nuance, tout entre deux. 

Quand on est persuadé qu’il n’existe que deux possibilités pour résoudre tous les problèmes du monde, il est difficile voire impossible de comprendre pleinement les autres, et toutes les situations qui se présentent à nous.  « C’est oui ou bien c’est non? » nous répète Angèle, comme s’il n’y avait pas, entre les deux, un milliard d’autres possibilités (il se murmure d’ailleurs que « peut-être » et « je ne sais pas » seraient à deux doigts du burn out). 

Or, si chaque fois qu’une personne tente de nous expliquer son point de vue, nous lui répondons que ce n’est pas ce qu’on attendait car la réponse ne peut être QUE A ou Z, mais aucune lettre entre les deux, il y a de bonnes chances pour que les autres nous délaissent petit à petit… Ou que l’on s’entoure principalement de personnes qui nous ressemblent et dont les attentes et le niveau d’exigence sont très élevés.

Sans compter qu’adopter cette distorsion peut être douloureux pour soi, à plusieurs égards. Les situations complexes peuvent devenir extrêmement difficiles à gérer d’un point de vue émotionnel. Cela me rappelle une soirée, il y a une dizaine d’années; incapable d’entendre le point de vue de son bien aimé, dont elle attendait une prise de position sur un sujet complexe pour lui, très simple pour elle, une quasi inconnue pleurait jusqu’à 4h du matin sur mon épaule en répétant: « mais je ne comprends pas… Normalement, la vie c’est simple ». Je crois que son incompréhension totale de la situation lui était bien plus douloureuse que l’attente de la réponse en elle-même.

Le perfectionnisme, ce joli défaut

Puisque ce filtre mental n’admet que deux possibilités, alors tout ce qu’on entreprend est impérativement soit une réussite, soit un échec. La notion d’apprentissage n’existe pas ou peu, tout comme la bienveillance envers soi. C’est ainsi que se développe oklm le perfectionnisme. 

Ce n’est pas un hasard s’il s’agit du « défaut » le plus cité en entretien d’embauche. Dans le travail, les personnes « tout ou rien » sont de super atouts: ce sont des employés modèles, qui bossent comme des fous quelque soit le salaire ou la façon dont on les traite, rendent un travail d’une qualité rare – même quand eux-mêmes sont insatisfaits du résultat – et il faut leur en faire vraiment beaucoup (beaucoup…) pour qu’ils se mettent en quête d’un autre employeur. 

Une façon de penser qui sert donc l’entreprise. Mais quid de l’individu qui vit avec cette distorsion? Ce sont souvent des personnes qui se fixent des objectifs et des challenges réguliers. Puisque si elles n’atteignent pas leurs objectifs, c’est forcément qu’elles ont tout raté, elles vont se donner à fond pour être mettre toutes les chances de réussir de leur coté. La moindre micro erreur sera alors vécue comme quelque chose de grave – car c’est le petit caillou qui risque de les faire tomber en bas de la falaise – et leur vaudra de passer des heures à pleurer en s’auto-insultant. Dès qu’elles sentiront l’échec comme inévitable, elles laisseront tomber le challenge en le justifiant à grands coups de « non mais de toute façon je ne vais jamais au bout des choses, c’est comme ça, c’est ma personnalité, je n’y peux rien ». Que la personne « réussisse » ou « échoue », le résultat sera le même: saper l’estime de soi. Rien n’est jamais assez bien, rien n’est suffisant, et un challenge réussi ne veut dire qu’une chose: la prochaine fois, il va falloir faire encore mieux. 

Un stress sans fin

Aller toujours plus haut telle une Tina Arena au sommet de sa (courte) gloire, s’imposer une façon de vivre qui ne laisse pas de place à l’imperfection, à la fatigue ni au repos, c’est épuisant. Sans compter que cette distorsion nous invite à nous concentrer sur ce qui ne va pas, ce que nous faisons mal, à ressasser tout ce qui n’est pas assez bien, pas comme il faut, pas comme nous aurions dû…. Se dévaloriser en permanence, cela fatigue aussi l’esprit et le moral. On retrouve aussi souvent, dans les coulisses de cette distorsion, le fameux syndrome de l’imposteur. Rien de ce que je fais n’est assez bien, pour l’instant ça passe, mais un jour ou l’autre quelqu’un va me voir tel.le que je me vois, moi: une personne qui n’est pas à sa place et se contente de tromper son monde. 

Si certain.es appliquent cette façon de penser à eux/elles seul.es, d’autres n’hésitent pas à étendre leur filtre à leur entourage. Cela devient alors une source de stress supplémentaire, car en plus de l’attente qu’on crée pour soi, nous voilà à exiger des autres qu’ils ou elles répondent à des attentes implicites – ce qui fonctionne rarement. Il est alors facile de se sentir mal aimé.e ou encore pas respecté.e car « je voulais que Grégoire devine tout seul ce que j’attendais de lui et qui me semble être LA BASE. Puisqu’il ne l’a pas fait alors que, comme me l’a confirmé Jeannette, c’était évident, cela signifie que Grégoire se fout totalement de moi ».

Enfin, une autre source de stress provenant de cette distorsion est l’obligation qu’on s’impose à avoir un avis tranché. La demie mesure n’existant pas, on entend souvent ces personnes changer d’avis comme de chemise (elles n’ont pas d’avis définitif et seront donc, par sécurité, d’accord avec la personne qui leur parle à ce moment là), ou refuser en bloc l’avis des autres. « Je ne sais pas », « c’est complexe comme sujet » ou encore « je ne me suis pas assez renseigné.e pour avoir un avis » n’étant pas acceptables, il y a à nouveau une grosse pression pour lire, se renseigner, réfléchir afin d’avoir rapidement un avis bien précis et argumenté sur à peu près tous les sujets du monde. Épuisant, je vous dis.

Si vous vous reconnaissez dans cet article, je vous encourage à entamer un travail sur vous. C’est une distorsion dont il est difficile de se détacher seul.e. Cela dit, en prendre conscience et se forcer à voir d’autres éventualités dans chaque situation est bon début pour se débarrasser de ce filtre un brin tyrannique. 

2 Comments

  1. Prendre le temps du silence - on 31 August 2021 at 17 h 30 min

    […] il n’est pas question de partir dans un tout ou rien totalitaire en ressortant son vieux 3310 et en se désabonnant de Netflix. Cependant, prendre […]

  2. Sacrifice et compromis: quelles différences? - on 30 September 2021 at 13 h 12 min

    […] et arrêtez de partir dans de tels extrêmes. Ne seriez-vous pas sous l’influence d’un petit « tout ou rien » par hasard? Si vous avez l’habitude de me lire, vous savez ce que je vais dire ici: dans la vie, […]

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