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Comment la normalisation du mensonge pourrit la communication

comment la normalisation du mensonge pourrit la communication

Mentir, c’est mal, tout le monde le sait. Alors pourquoi est-ce que nous mentons tous autant au quotidien, à nos ami.e.s, nos partenaires de vie ou encore au travail ? Ces petits mensonges, parfaitement acceptés socialement, sont-ils aussi innocents qu’ils en ont l’air ? Je ne crois pas, puisque, comme l’indique le titre non neutre de cet article, je pense au contraire qu’ils pourrissent la communication entre les individus et détériorent les relations. Je vous explique mon point de vue ! (Lecture : 5min12)

Le paradoxe du mensonge

À moins d’avoir été élevé.e dans une famille d’imposteurs professionnels, la plupart d’entre nous avons appris, en grandissant, qu’il faut toujours, toujours dire la vérité. Je veux dire, peut-on imaginer un parent dire à son enfant : « Non mais sinon t’as qu’à dire à la maitresse que mamie est morte et que c’est pour ça que tu n’as pas pu faire tes lignes de cursives. Quoi ? Bien sûr que non mamie n’est pas morte, mais ça, la maîtresse ne le saura jamais, t’inquiète » ? 

Une fois adulte, pourtant, mentir devient non seulement totalement acceptable socialement, mais cette pratique est même normalisée et encouragée. 

« C’est faux, moi je ne mens jamais ! » avez-vous peut-être pensé à la lecture de ce paragraphe. Laissez-moi vous donner quelques exemples des mensonges les plus courants au quotidien. Alfred-Maurice doit rejoindre ses potos pour boire des coups, mais il est hyper à la bourre. Il reçoit le texto d’un de ses amis s’impatientant de ne pas le voir arriver, et lui demandant s’il est bientôt là. « Je viens de partir, j’arrive dans 5 min ! » tape Alfred-Momo frénétiquement sur son écran tactile, alors qu’il vient tout juste de sortir de la douche.

Bien sûr, il débarque bien après les 5 minutes annoncées et s’empresse de s’expliquer, tout en saluant ses potes : « Déso les gars, je me suis retrouvé coincé derrière un camion, et après j’ai galéré pour trouver une place !! ». C’est donc trois mensonges et beaucoup de stress plus tard qu’Alfred-Maurice débute sa soirée. Il s’adresse pourtant à des personnes qu’il aime et qui le lui rendent bien, des gens de confiance. Pourquoi ne pourrait-il pas simplement leur avouer qu’il n’a pas vu le temps passer, qu’il devait finir quelque chose avant de les rejoindre et que ça a pris plus de temps que prévu, ou qu’il s’est simplement mal organisé ? 

Le mensonge dans les relations amoureuses

Notre ami Alfred-Maurice est en couple avec Kardélia, une jeune femme rencontrée sur une app spécialisée. Lors de leurs premiers échanges, Alfred-Momo a dit à son crush qu’il adorait lui aussi la nature, qu’il était célibataire depuis 4 mois, qu’il était plutôt ponctuel et se levait souvent tôt le matin. Rien de tout ça n’est totalement faux, mais c’est hautement exagéré pour donner une meilleure image de lui-même à celle qu’il tentait de séduire. Ce n’est pas grave puisque de son côté, Kardé avait affiché avoir 28 ans (« En fait j’en ai 33, c’est une erreur lors de la création de mon compte et je n’ai jamais trouvé comment le changer, lol »), qu’elle rêvait que quelqu’un lui apprenne tous les moindres détails de la carrière de Michael Jordan (« j’aime pas trop le basket à la base, mais tu as une manière hyper intéressante d’en parler, c’est fou ») et qu’elle était du genre super à cheval sur la propreté – « à condition que le ménage soit fait par une tierce personne », avait-elle malencontreusement omis de mentionner. 

Au quotidien, il leur arrive désormais à tous les deux de dire à l’autre que oui, évidemment ils l’écoutent – alors qu’en fait non, de dire que tout va bien – alors qu’en fait non, d’annoncer un retour à l’appart d’ici 1h – alors qu’en fait non, de dire à l’autre que non, ce vêtement ou cet object n’est pas nouveau – alors qu’en fait si…. On pourrait continuer comme ça pendant longtemps. 

Mentir au travail

La sphère de notre vie au sein de laquelle nous mentons le plus et avec le plus de facilité, c’est le travail. Et pour 65% d’entre nous, cela commence dès le CV : un stage devient un CDD, on ajoute quelques loisirs un peu originaux basés sur les dernières vidéos YouTube qu’on a vues… On justifie ensuite nos retards répétés par des problèmes de transports, on assure qu’on a commencé à bosser sur un dossier qu’on n’a pas encore ouvert, on s’invente une fuite d’eau ou une grippe pour gagner un jour de week-end… Et près de 80% des managers auraient déjà menti à leurs collaborateurs, soit pour éviter un conflit, soit pour obtenir quelque chose de leur part. 

Mentir au travail est tellement normalisé que le site du magazine Marie-Claire en a fait un article qui recense 13 idées de mensonges pour se « faciliter la vie » à sortir au bureau. On y trouve des conseils hallucinants du type : « raconter qu’on a bossé tout le week-end » pour donner l’impression d’être ultra motivé.e, faire semblant de ne pas avoir vu un mail ou d’avoir bien avancé sur un dossier, prendre un air concentré devant son écran pour donner l’impression qu’on bosse alors qu’on regarde un tuto ou encore s’inventer un rendez-vous client pour pouvoir rentrer chez soi 1h plus tôt. Écoutez, moi, ça me laisse sans voix. 

comment la normalisation du mensonge pourrit la communication
Moi, à chaque fois que je pense qu’on me ment 

Pourquoi est-ce qu’on ment ?

D’après mes recherches et un sondage réalisé par mes soins sur Instagram (pour m’y suivre, c’est par ici), on ment pour plusieurs raisons : pour éviter les conflits, par honte de son propre comportement, pour obtenir quelque chose, pour éviter de reconnaître ses torts ou encore par simple habitude. 

Alfred-Maurice, au début de cet article, ment à ses amis par peur des réflexions qu’il pourrait recevoir. Il n’est pas très ponctuel, il a du mal à l’admettre, et il est plus facile pour lui d’attribuer ses retards à une cause extérieure plutôt que d’en prendre la responsabilité. Cela pourrait en effet entrainer une remise en question de sa part qu’il n’est pas prêt à faire. S’il a exagéré la vérité auprès de Kardélia, et si elle en a fait de même, c’est parce qu’ils souhaitaient obtenir l’attention de l’autre. Il faut dire aussi qu’on leur a toujours asséné, telle une vérité générale et immuable, que quand on rencontre quelqu’un « faut se vendre un peu ». Pour séduire il faut mentir, c’est bien connu, sinon on risque de balancer un tue-l’amour par inadvertance…

Inutile de vous préciser que, fidèle à lui-même, Alfred-Momo ment à tire-larigot au boulot : pour justifier ses retards, bien sûr, mais aussi pour refiler les dossiers qu’il ne veut pas à d’autres collègues (un « je n’ai pas le temps » passe mieux qu’un « ça ne m’intéresse pas », qui risquerait en plus de déclencher des conversations peu agréables et sans garantie de succès) ou encore pour éviter des conflits avec son manager. 

Quand il s’agit de trouver de bonnes raisons de justifier nos mensonges, plus personne ne semble manquer de créativité et d’inventivité.

Et si on était sincère ?

Que se passerait-il si, tout à coup, nous privilégions la sincérité ? On imagine souvent que ce serait une catastrophe, parce que « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Mais ne confond-on pas « opinion » et « sincérité » ? Dire tout ce qu’on pense et balancer à sa cousine que sa robe est moche et que, décidément, elle n’a vraiment aucun goût, ce n’est pas être sincère. C’est partager son avis comme s’il s’agissait d’une vérité absolue (qui dit que c’est votre cousine qui a mauvais goût, et pas vous ?). Dans ce cas, moi aussi je crois que ce serait malvenu de dire tout ce qu’on pense et oui, ça nous conduirait probablement au chaos.

La sincérité, ce n’est pas expliquer aux autres que leur vision est pourrie et que la nôtre est mieux. C’est exprimer son ressenti et ses besoins, pour permettre aux autres de nous comprendre ; c’est accepter que notre vérité n’est pas forcément celle des autres, et chercher à les comprendre plutôt que de les juger. Est-ce si grave de dire à ses ami.e.s « je vous adore, mais ce soir je suis épuisé.e et j’ai finalement besoin de rester chez moi. Je serai là la prochaine fois » ? S’ils avaient été parfaitement sincères l’un avec l’autre lors de leur rencontre, Alfred-Maurice et Kardélia se seraient vite aperçu que ça n’allait pas coller entre eux. Ça leur aurait évité des disputes, de la déception en découvrant l’autre au bout de 6 mois, et une rupture douloureuse 2 ans plus tard après avoir tout essayé pour que ça marche parce que « au début, c’était si bien ! ». 

Forcer Alfred-Momo à réaliser une tâche qu’il déteste n’est-il pas contre-productif ? Ne risque-t-il pas de trainer pour la faire, et de la faire mal ? S’il avait la liberté d’être sincère au travail, de dire « s’il faut le faire, je le ferai, mais je n’aime vraiment pas ce type de tâche », son manager pourrait la proposer à quelqu’un qui, au contraire, la ferait avec plaisir. Organiser un service en permettant au maximum à chaque employé de privilégier les tâches qui l’éclatent, c’est assurer un meilleur niveau de bien-être au travail, donc une meilleure productivité, donc plus de gains financiers. Encore faut-il que chacun.e ait la liberté d’exprimer ce qu’il ou elle aime et n’aime pas…

Être sincère, ça permet d’être soi en toutes circonstances, d’écouter ses besoins, de les remplir, et de les expliquer à son entourage. C’est gagner en sérénité, parce que mentir, c’est crevant et stressant. Cela favorise le respect – et donc le fait d’obtenir ce qu’on veut, et limite les conflits. Tiens tiens… Exactement ce qu’on cherche à obtenir… en mentant.

Et vous, un monde parfaitement sincère, vous y croyez ?

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