L’effet de leurre ou comment négocier grâce au Pop-Corn
Avez-vous déjà entendu parler de l’effet de leurre ? On l’appelle aussi le « decoy effect », « la théorie du Pop-Corn » ou encore « l’effet de domination asymétrique ». Ce biais cognitif, établi en 1982 par Joel Huber et l’université de Duke, est largement utilisé dans le commerce pour pousser le consommateur vers un produit plutôt qu’un autre. C’est aussi un très bon outil de négociation. Sautez à pieds joints dans cette machine à pop-corn, je vous explique tout ça ! (Lecture : 4min16)
Comprendre l’effet de leurre
Je pense que le nom est plutôt transparent, puisqu’il s’agit de leurrer quelqu’un d’autre, de lui faire croire qu’il fait un choix conscient, le meilleur choix possible, alors qu’en réalité il ou elle opte pour l’option qu’on a pré-sélectionnée pour elle ou lui. Pour rendre cette explication limpide, on utilise généralement l’exemple du pop-corn (ce que vous aviez peut-être déjà deviné grâce aux subtiles indices éparpillés de-ci de-là dans les lignes précédentes).
Imaginons que vous alliez au ciné dans une période hors crise sanitaire, et que vous ayez une folle envie de pop-corn pour agrémenter votre séance. La boutique propose 2 formats : une petite boite à 3€, et une grande boite à 7€. Laquelle choisissez-vous ? Statistiquement, il y a plus de chances pour que vous optiez pour le petit format, parce que le billet vous a déjà couté un bras et qu’ajouter 7€ de plus pour de la nourriture plaisir, c’est quand même un peu fort de maïs soufflé.
Imaginons maintenant que la boutique ne vendent pas 2 formats, mais 3 : le petit et le grand, toujours aux mêmes tarifs, et un moyen, au prix de 5€. Dans ce cas, vous risquez d’opter pour le format moyen, qui semble être le meilleur compromis. Si le ciné voulait privilégier la vente de grandes boites de pop-corn, il pourrait dans ce cas proposer le format moyen au prix de 6€ ou 6,50€. Dans ce cas, la petite boite nous semblerait vraiment minus et nulle, et la grande boite nous donnerait l’impression de faire une affaire de fou.
Voilà, c’est ça, l’effet de leurre : proposer plusieurs choix (3 en général, mais ça peut être plus suivant les situations) en les organisant de manière à ce que ce qu’on souhaite obtenir paraisse être une super aubaine. Le choix du milieu peut être celui qui sert de leurre (c’est à dire qu’il n’existe que pour valoriser une autre des possibilités), mais on peut déplacer le leurre à sa guise en fonction du choix qu’on souhaite mettre en avant.
Pop-corn et négociation
Si ce biais cognitif est largement utilisé dans le commerce, notamment par des marques comme Apple, il est applicable à plein d’autres situations. Prenons le cas de Marisette, une manager qui souhaite obtenir une augmentation de 150€ pour une des membres de son équipe. Elle en parle à sa direction, qui n’est pas super emballée par l’idée. Si Marisette donne directement le chiffre qu’elle veut obtenir, elle a peu de chance qu’on lui accorde. A la place, elle peut demander un minimum de 250€. Sa direction, de son coté, propose la somme de 100€. Après avoir insisté un peu sur sa somme initiale, Marisette pourra alors donner l’impression d’accepter un compromis, en disant par exemple: « écoutez, je peux essayer de lui proposer 200€. Peut-être même 150. Mais pour qu’elle accepte, j’ai besoin de lui montrer que vous avez, vous aussi, fait un effort. ». Soudainement, l’augmentation de 150€ semble être une super occasion pour la partie adverse : certes, c’est plus que ce qu’ils avaient en tête, mais comparé à 200 ou 250€, c’est une grosse victoire qui, au passage, leur donne le sentiment que Marisette a fait bien plus de concessions qu’eux.
Imaginons maintenant que Marisette veuille recruter 2 personnes pour son service. Sa direction lui a donné son accord, mais pour un recrutement seulement. Elle peut, dans ce cas, à nouveau leur présenter 3 scénarios : 1 embauche et les conséquences possibles et dramatiques ; 2 embauches et les conséquences possibles qui sont positives ; 4 embauches (« le nombre réel de personnes dont nous aurions besoin en plus pour vraiment bien faire fonctionner le service »), avec des conséquences encore plus positives. Elle donne ainsi l’impression à ses interlocuteurs que ce sont eux qui sont décisionnaires, alors qu’en réalité, entre un choix nul, un choix génial mais qui serait un énorme effort, et un choix avec de bons résultats et un effort finalement limité en comparaison…. Y a-t-il vraiment un choix ?
Alors attention tout de même : utiliser l’effet de leurre ne garantit en aucun cas le résultat. Il est possible que la direction de Marisette soit inflexible sur le montant de la prime ou le nombre d’embauches accordées, de même qu’il y aura toujours des gens qui achèteront le format moyen de pop-corn tout simplement parce qu’ils savent qu’ils n’ont pas assez faim pour le grand, tant pis si c’est plus avantageux. Par contre, c’est une méthode de négociation très efficace qui augmente considérablement les chances d’obtenir ce qu’on veut.
Manipulation ?
En lisant le paragraphe précédent, vous avez peut-être pensé que Marisette manipulait totalement sa direction. Et c’est vrai, l’effet de leurre est une forme de manipulation. Je dois vous dire que je ressens pas mal de tristesse à l’écriture de ces lignes. J’aimerais croire que nous vivons dans un monde où la sincérité est de rigueur, où Marisette pourrait dire à sa direction : « écoutez, Elicia a fait un boulot de dingue ces derniers temps. Elle veut 150€ d’augmentation et je pense qu’il faut les lui accorder car elle les mérite ». Et la réponse serait : « Bien sûr Marisette. On vous a mis à ce poste parce que nous avons confiance en vous et vos capacités de manager. Si vous nous dites qu’il faut accorder cette augmentation à cette personne, alors nous allons faire le nécessaire ». Malheureusement, c’est rarement comme ça que ça se passe actuellement, même si j’ose croire que ça va changer dans les années à venir du merveilleux « monde d’après ».
Dans la situation actuelle, nous sommes donc malheureusement souvent contraint.e.s d’utiliser ce type de méthode de vente ou de négociation pour obtenir ce que nous estimons être juste. Et c’est là que nous entrons dans un paradoxe : si nous manipulons les autres parce qu’ils ne sont pas ouverts à l’écoute et à la discussion saine et sincère, nous entretenons ce système. Quand est-ce que ça s’arrête, dans ce cas ?
De même, peut-on utiliser l’effet de leurre pour obtenir que notre conjoint.e ou qu’un.e ami.e nous accompagne à une activité qu’il ou elle déteste ? Oui, techniquement, on peut, et ça fonctionnera probablement. Mais est-ce vraiment ce qu’on veut ? A-t-on vraiment envie de manipuler les gens qu’on aime ? Je vous invite donc à réfléchir à votre intention avant d’utiliser l’effet de leurre, et à ne le dégainer que lorsque vous faites face à des interlocuteurs bloqués sur leur position, non ouverts à la discussion et/ou qui manquent d’empathie. Un outil à utiliser selon moi avec modération donc, et suivant les limites de la conscience de chacun.e.
Est-ce que vous connaissiez cet effet? Vous l’avez déjà utilisé?