Sauveur, persécuteur, victime: le « triangle dramatique » de Karpman
Si le développement personnel et la psychologie vous intéressent, vous avez peut-être déjà entendu parler de ce triangle représentant les liens que nous avons un peu trop naturellement tendance à entretenir dans nos rapports avec les autres. Alors… Mythe ou réalité ? Comment ce triangle de l’épouvante fonctionne-t-il ? Sommes-nous obligés de nous y soumettre ou peut-on en sortir ? Je vous dis tout, et bien plus encore, dans ce formidable article. (Lecture: 7min44)
Comprendre ce fameux triangle
Comme son nom le laisse sous-entendre sans subtilité aucune, le « triangle dramatique » de Karpman (et non « de Cartman », comme je l’ai longtemps cru), a été élaboré par Stephen Karpman, un médecin psychiatre américain et grande figure de l’analyse transactionnelle, si on en croit Internet. En gros, Stephen a établi les rôles qui se mettent en place entre les gens dans les cas de relations dysfonctionnelles. « Ok mais c’est quoi, une relation dysfonctionnelle ? » vous demandez-vous très certainement depuis le confort de votre canapé. Et bien c’est une relation dans laquelle on n’exprime pas ses émotions, ses idées, ses besoins. C’est à dire à peu près toutes les relations que nous entretenons puisqu’on nous apprend exactement le contraire : ne rien laisser paraitre, ne pas être centré sur soi, garder sa vulnérabilité et s’en remettre à des règles de politesse et de bienséance dont on suppose, à tort, qu’elles conviennent à tout le monde.
Selon cette théorie, nous nous glisserions donc automatiquement dans des rôles pré-définis qui dicteront nos réactions et les relations que nous allons entretenir avec les autres. Si nous avons généralement un rôle de prédilection, nous passons régulièrement par les 3 positions du triangle. On peut d’ailleurs être les trois en même temps, avec trois personnes ou groupes de personnes différents.
La victime
Son nom laisse peu de place à l’interprétation. Une victime, c’est quelqu’un qui subit sa vie. C’est cette personne qui pense qu’elle n’a pas de chance, que tout dans sa vie est ultra compliqué et qu’elle n’a ni moyen de s’en sortir, ni responsabilité dans ce qui lui arrive. Quand on tente de lui trouver des solutions, elle a réponse à tout et saura expliquer avec beaucoup de détails pourquoi non, elle s’en sortira jamais, c’est pas possible et tu peux pas comprendre ok ? Non, elle ne peut pas résoudre le problème A, parce qu’il dépend du problème B, lui-même dépendant du problème C, qui ne peut se résoudre qu’en trouvant une réponse au problème D…. qui ne peut être résolu qu’en réglant le problème A.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, notre amie la victos n’est pas toujours une personne hautement déprimée qui raconte ses problèmes à qui mieux mieux. C’est parfois plus subtile. Par exemple, une personne qui a besoin de s’appuyer sur l’avis des autres constamment est, possiblement, une victime. Dans ce cas, elle aura tendance à remettre la faute sur les autres quand elle a suivi une opinion extérieure et qu’elle n’est pas satisfaite du résultat. À l’inverse, si elle ne suit pas les conseils qui lui ont été donnés et qu’on lui fait remarquer qu’elle se plaint du résultat qu’elle obtient, elle enverra bouler son entourage à base de « tu ne peux pas comprendre… personne ne peut comprendre ».
Comme elle est constamment dans une position délicate par laquelle elle se sent dépassée, notre victime va chercher à se rapprocher d’un sauveur sur qui elle pourra s’appuyer. Lorsque ce dernier échouera à régler tous les problèmes de la vie de la victime, cette dernière, vénère, évoluera tel un méchant pokémon vers le rôle de persécuteur… et se vengera sur la personne qui fut un temps son sauveur.
Repérer une victime: se plaint souvent, ne prend pas la responsabilité de ses problèmes (« j’ai pas de chance », « le sort s’acharne contre moi, je ne sais pas pourquoi », « c’est comme ça, je ne peux rien y faire »…), s’appuie sur une ou plusieurs personnes pour l’aider à gérer sa vie.
Le sauveur
Nous venons de le mentionner : le sauveur, c’est cette personne qui passe son temps à se plier en 4 pour tout le monde, à rendre des services jusqu’à l’épuisement mental et/ou physique. Vous avez besoin de pouvoir compter sur quelqu’un en toute circonstance, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit ? Le sauveur vous fera toujours passer avant ses propres besoins. Beaucoup d’entre eux tirent d’ailleurs une grande fierté de ce rôle et construisent même une partie de leur identité autour de lui. Ils et elles sont des personnes profondément gentilles, bienveillantes et généreuses. Des qualités hautement valorisées dans notre société, et c’est un gros, gros piège. Déjà, c’est difficile de s’apercevoir qu’il y a un souci, et puis l’idée de changer est terrorisante puisqu’on a l’impression que ça nous ferait devenir une horrible personne.
Pour pouvoir exercer son rôle dans les meilleures conditions possible, le sauveur cherche une victime à aider. Il va régler ses problèmes un à un, la porter, la soutenir…. Dans sa tête, il est en mission : grâce à lui, la victime va avoir une vie géniale. C’est ultra valorisant pour le sauveur de savoir qu’une ou plusieurs personnes dépendent de lui, qu’il a un impact auprès de ces gens. Se crée alors une superbe relation toxique et parfaitement déséquilibrée, avec d’un coté une personne qui transfère tous ses soucis sur une autre, et de l’autre un sauveur qui tire toute son estime de soi de ce qu’il apporte à la victime. Cette dernière appelle son héros ou son héroïne constamment, lui demande de valider ses choix, de l’aider dans telle ou telle démarche… Le sauveur, bien que parfois un brin saoulé, répondra malgré tout toujours présent.
Problème : on ne peut pas régler les problèmes des autres à leur place, ce n’est simplement pas possible. Bien sûr, le sauveur pourra montrer à la victime comment payer ses impôts, s’occuper de faire réparer l’écran de son téléphone ou encore lui apporter des plats cuisinés. Mais il ne pourra pas, jamais, jamais, résoudre les problèmes profonds de la victime. Il ne pourra pas décider à sa place, lui faire gagner en confiance en soi, l’aider à s’affirmer. Là, vous l’avez compris, la victime se rebelle et devient persécuteur. Elle pourrit son sauveur qui, hébété, va partir panser ses blessures dans un coin en répétant des phrases du type: « C’est la dernière fois ! Quelle ingratitude ! C’est toujours pareil, je suis trop sympa et on ne me le rend pas ! Vraiment, trop bon trop con, tu donnes un doigt les gens t’arrachent la moitié du corps, c’est quand même pas de chance que ça me tombe toujours dessus ». Hop hop hop ! Est-ce que ce ne serait pas le discours d’une victime ça ? Si, si, pardi. Persécuté, le sauveur devient victime un temps, jusqu’à ce qu’il reprenne exactement le même schéma avec une autre victime.
Repérer un sauveur : se rend dispo tout le temps avec plaisir – mais râle et crie à l’ingratitude si personne ne se pointe quand c’est lui qui a besoin d’aide, rend service même quand on ne lui demande pas, fait passer les besoins des autres avant les siens, entretient une relation souvent très très (trop ?) proche avec une ou quelques personnes privilégiées qu’il semble porter à bout de bras.
Le persécuteur
Celui-ci est sans doute le plus facile à reconnaitre chez les autres (et sûrement le moins facile à s’avouer quand il nous concerne). Le persécuteur… persécute. C’est quelqu’un qui s’énerve souvent, fait énormément de reproches aux autres, n’hésite pas à les humilier sous couvert (ou non) d’humour. C’est ce pote dont on dit « Oui, parfois il sort des trucs un peu durs mais bon, il est comme ça », cette copine qui clash tout le monde en soirée « mais c’est trop drôle arrête, c’est juste son humour faut pas mal le prendre », cette personne qui est « juste très franche, mais ça fait du bien aussi d’avoir des gens qui donnent clairement leur avis, ça change ». Le persécuteur n’est pas forcément une personne qu’on décrirait comme « méchante ». C’est plutôt quelqu’un qui, régulièrement, sort des petites piques bien placées et qui font mal.
Si la victime est écrasée par le poids de ses problèmes dont elle ne comprend pas pourquoi ils tombent sur elle, le persécuteur, lui, ne prend pas non plus la responsabilité de ses actions. Plutôt que de se plaindre, il préfèrera passer sa frustration sur les autres. Ça lui fait du bien de descendre d’autres personnes – si ce sont des victimes, c’est encore mieux.
Entricoté dans ses peurs, le persécuteur tente de se rassurer en se reposant sur des règles (« il faut faire comme ça », « ce n’est pas acceptable de faire ceci », « on ne doit pas faire ça »). Ce processus lui donne le sentiment qu’il détient une vérité et qu’il est de son devoir de la partager aux autres. Il se permettra donc de sortir à tout va des « vérités » ultra blessantes et ne se gênera pas pour expliquer la vie à qui veut l’entendre.
Repérer un persécuteur : aime clasher les autres, fait de l’humour hyper cassant (sur lui et sur les autres), passe ses nerfs sur son entourage, donne des leçons de vie à tout va.
Comment sortir du triangle ?
La question à se poser avant de répondre à celle-ci est sans doute la suivante : pourquoi est-ce qu’on y entre, en premier lieu ? Les trois positions ont un gros, gros point commun. L’avez-vous repéré ? La victime, le sauveur et le persécuteur entrent en relation les uns avec les autres pour ne pas avoir à s’occuper de leurs problèmes.
La victime, si elle est très centrée sur elle, ne prend pas la responsabilité de ses actions, de ses choix. Elle cherche des réponses à l’extérieur d’elle-même pour ne pas avoir à se remettre en question. Le sauveur est bien trop occupé à s’occuper des autres pour pouvoir s’occuper de lui. Il n’a absolument pas le temps de se pencher sur ses propres problématiques. Le persécuteur, lui, attaque les autres pour éviter de trop s’interroger sur sa propre responsabilité (« ce sont eux qui sont nuls, pas moi »). Dans les trois cas, il s’agit de personnes qui ne sont pas centrées sur elles, sur leurs besoins ou leurs envies. Il leur est impossible d’exprimer clairement leurs idées, besoins et émotions puisqu’elles ne les connaissent pas.
C’est donc comme ça qu’on sort de ce triangle de l’enfer : en se remettant au centre de sa vie, en apprenant à donner avec parcimonie, à identifier ses émotions et les besoins qui y sont liés, puis à les exprimer simplement avec vulnérabilité et sans agressivité (grâce à la communication non violente, par exemple).
Et vous, vous vous êtes reconnu(e) dans ce triangle ? Quel rôle occupez-vous ou avez-vous principalement occupé?